La psychanalyse est-elle contestable?



"La résistance à l'interprétation du rêve, indice de la censure, n'est rien d'autre que la résistance due au refoulement (...) Il est certain que l'exception ne saurait infirmer la règle"

Sigmund Freud, nouvelles conférences sur la psychanalyse ("Première conférence").



Né à Vienne en 1902, Karl Popper fut vite confronté avec la psychanalyse, d'autant qu'il travailla quelque temps auprès du psychanalyste "hérétique" Adler et qu'avant de se tourner dès 1928 vers la méthodologie des sciences de la nature, il avait d'abord entrepris des recherches dans le domaine de la psychologie cognitive, sous la direction du grand linguiste et psychologue de l'enfant Karl Bülher. C'est en partie à partir d'une réflexion critique sur les méthodes utilisées par les psychanalystes que Popper allait proposer dès 1932 le critère de scientificité qui devait le rendre célèbre, à savoir la réfutabilité ("falsifiabilité", "testabilité"). Il ne s'agit pas d'une question de définition, mais, étant donné le prestige que confère à une discipline l'appellation de "scientifique", d'une question pratique et urgente : "A quelles conditions est possible un recours critique à l'expérience?" Une théorie scientifique universelle ne saurait être "vérifiée" stricto sensu, comme l'avait montré Hume, mais elle doit pouvoir être soumise à des tests empiriques rigoureux et reproductibles, susceptibles de nous amener éventuellement à la remettre en cause en tout ou partie. elle doit pouvoir en principe être réfutée, et pour cela, elle doit "exclure" certains faits empiriques possibles : "Plus elle interdit, plus elle dit". si elle n'interdit rien, elle n'en est pas pour autant dénuée de sens, comme le pensaient Wittgenstein et le Cercle de Vienne des énoncés non vérifiables, mais elle est "métaphysique", et donc non encore scientifique. C'est par la détection des erreurs, des points faibles de nos spéculations audacieuses que nous pouvons espérer nous rapprocher de la vérité. Pour cela, il faut que nos hypothèses prennent le risque d'être éliminées. Or, il est toujours possible de "sauver" une théorie en procédant à des réaménagements adéquats à certains endroits du système auquel elle appartient (comme l'avait montré le physicien français Pierre Duhem). Popper ne le nie pas, mais il propose l'idée selon laquelle il convient de ne pas sauver une théorie à n'importe quel prix, par exemple en introduisant des hypothèses ad hoc, non testables indépendamment de ce qu'elles sont censées expliquer, ce qui la rend invulnérable. Or, "l'irréfutabilité est un vice". Il ne reproche pas à la psychanalyse d'être fausse : elle contient même selon lui probablement "beaucoup de vérité", en particulier eu égard à l'influence des premières expériences sociales du jeune enfant dans la formation du caractère, mais de ne pas suffisamment se prêter à cette "vulnérabilité" empirique. Les psychanalystes ont tendance à ne pas prendre assez de risques, et à utiliser des "stratégies immunisantes", par lesquelles ils peuvent "expliquer" aussi bien la survenue de telle réaction que celle de son contraire. Comment tester l'hypothèse selon laquelle tout enfant, garçon et fille, passe nécessairement par une phase "oedipienne", avec désir sexuel du parent de sexe opposé et désir de meurtre du parent de même sexe ? Peut-on imaginer un protocole empirique qui permettrait de mettre en défaut cette hypothèse ? Il paraît difficile de concevoir que l'observation clinique d'un petit garçon, par exemple, détestant sa mère et préférant la présence de son père, pourrait être considérée comme une réfutation de la thèse freudienne : le psychanalyste averti utilisera des concepts comme celui d'ambivalence ou de "formation réactive" pour expliquer cette apparente réfutation comme une confirmation de la théorie oedipienne. Un enfant qui ne présenterait pas de symptôme de "stade sadico-anal", de "stade phallique" ou d'angoisse de castration les refoulerait, etc. Popper ne nie pas l'existence de processus inconscients, ni même la notion de refoulement : ces concepts trouveront sans doute selon lui leur place dans une psychologie scientifique encore à venir, mais il insiste sur ceci qu'il est pour le moins dangereux de les présenter comme des "découvertes" acquises (ce que l'on fait souvent, en particulier en France), alors que ce ne sont encore que de brillantes hypothèses "métaphysiques". De même, si un patient acquiesce à l'interprétation de l'analyste, c'est qu'elle est juste ; mais s'il la récuse, c'est aussi qu'elle touche quelque chose de crucial : la "dénégation" et la "résistance" prouvent la vérité de l'interprétation. (Une personne m'ayant entendu exposer les idées poppériennes sur Freud me demanda "s'il avait été analysé" ! ne l'ayant pas été, il ne pouvait pas en parler. s'il l'avait été, il ne la critiquerait pas. Imparable.) Contester la psychanalyse la renforce : elle est vraiment "subversive", elle affirme ce que tout le monde veut absolument ne pas savoir ! Popper a par ailleurs ironiquement baptisé "effet-Oedipe" ce que le sociologue américain Merton, à la même époque (1936) appela "prédiction auto-créatrice". Il donne par là à penser que bien des "succès" des prédictions des analystes concernant le comportement de leurs patients pourraient être dus à des effets de suggestion auto-créateurs. Toute psychologie scientifique doit prendre en compte ce facteur. Particulièrement problématique est ce que Popper appelle l'argument freudien du "puzzle" : si l'analyste réussit à reconstituer pièce à pièce le sujet dans sa complexité, "de sorte que le dessin prenne sens et qu'il ne reste plus de vide nulle part" (Freud), cela ne prouve pas grand chose, car il devrait prendre en compte le fait que le patient "suggestible" a pu vouloir "apporter des pièces nouvelles, faites sur mesure, pour combler les "vides" qui subsistaient".

Ce passage, rédigé dans les années cinquante, se trouve dans Le Réalisme et la science (Première partie, section 18), où Popper consacre une dizaine de pages à la célèbre thèse freudienne du rêve comme réalisation de désirs refoulés. Il analyse la manière dont Freud, dans son "grand ouvrage" de 1899 (L'Interprétation des rêves), traite les apparents contre-exemples que constituent les rêves angoissants. Il suggère que Freud est loin d'avoir montré que le rêve d'angoisse était une réalisation de désir, puisqu'il va jusqu'à affirmer qu'ils "ne relèvent pas de la théorie du rêve, mais de celle de l'angoisse", toute angoisse névrotique "ayant une origine sexuelle". Derechef, comment mettre à l'épreuve l'idée selon laquelle toute angoisse a une origine sexuelle ? si le patient nie que son angoisse soit liée à la sexualité, et qu'il évoque plutôt la peur de la mort, ou la peur de décevoir, c'est qu'il refoule... On sait d'ailleurs que Freud fut à juste titre impressionné par les cauchemars "traumatiques" répétitifs des soldats autrichiens pendant la grande Guerre, et qu'il en déduisit sa non moins problématique "pulsion de mort", dont on peut douter de la valeur adaptative, au sens darwinien.

Cependant, Popper ne méprise pas du tout la tentative de Freud : "Il ne fait aucun doute que Freud était loin d'être aussi dogmatique que la plupart de ses disciples, lesquels ont été portés à faire de la nouvelle théorie une religion : martyrs, hérétiques, schismes, et à voir dans tout critique un ennemi, ou quelqu'un de "non informé" (qui aurait besoin d'être analysé)". Une telle attitude défensive s'oppose à la stratégie "falsificationniste", qui consiste à se refuser à disposer de "stratégies gagnantes" face à l'expérience : celle-ci doit pouvoir "dire non" à nos propositions. et c'est ainsi seulement que nous pouvons, modestement, progresser. Il ne faut pas chercher à confirmer, mais bien plutôt à réfuter nos théories, comme lorsque l'on teste un fuselage d'avion, dans les pires conditions : si nous n'y parvenons pas, et si nos théories nous surprennent au contraire par leurs capacités à prédire des événements inattendus, alors seulement nous pouvons les considérer comme "corroborées".

Il est vrai cependant que certaines hypothèses freudiennes paraissent pouvoir être mises à l'épreuve : si l'on soutient que la paranoïa est due à une homosexualité refoulée, cela exclut apparemment la possibilité d'une homosexualité active chez un paranoïaque. Popper l'admet. Mais il soupçonne que le freudien peut alors dire d'un homosexuel actif paranoïaque "qu'il n'est pas vraiment paranoïaque ou qu'il n'est pas complètement actif", ce qui rendrait la théorie immune à toute critique. Le problème avec les théories de Freud ou d'Adler, c'est qu'il paraît difficile "d'imaginer un seul comportement qui ne serait pas susceptible d'être interprété à la lumière de ces théories, et qui ne pourrait être considéré comme une "vérification" de l'une et de l'autre". (On notera que Freud, dans la sixième de ses nouvelles conférences sur la psychanalyse (1932) fait une critique quasi poppérienne de la "psychologie individuelle" d'Adler, arguant qu'elle "explique" tout par un seul principe.) Difficile d'imaginer une "expérience cruciale" qui permette de départager les deux théories : non, comme le croyait Bacon, qu'une telle expérience puisse vérifier l'une des deux, mais au sens où elle permet au moins d'en rejeter une, ou d'amener à la modifier (de manière non ad hoc, sans utiliser des hypothèses auxiliaires non contrôlables indépendamment de ce qu'elles permettent de "colmater"). Popper soupçonne les psychanalystes de ne pas hésiter à faire feu de tout bois pour sauver leurs principes, sans jamais se demander si certains comportements (ou discours) ne pourraient pas être interprétés autrement : ils ne pratiquent pas la "méthode des hypothèses multiples". Pourquoi ne pas travailler, par exemple, avec l'hypothèse selon laquelle "les rêves seraient la résultante de conflits, soit entre des désirs différents, soit entre des désirs et des obstacles qui menacent de les frustrer et qui sont des sources d'inquiétudes ou de problèmes" ? Qui n'a jamais été réveillé par un cauchemar dans lequel se joue précisément ce qu'il craint par-dessus tout ?

Citant le psychanalyste Bernfeld, Popper souligne que "la psychanalyse peut prédire qu'un homme refoulera ou qu'il sublimera, mais elle ne peut dire s'il refoulera ou s'il sublimera". Il semble qu'à ce compte, à tous les coups l'on gagne, et c'est bien là le problème, mais il n'est certes pas spécifique à la psychanalyse : Popper affirme la même chose des stratégies par lesquelles les marxistes dans les années vingt "sauvaient" les prédictions de Marx sur la paupérisation ou la chute inéluctable du capitalisme dans les pays les plus industrialisés. Cela dit, d'autres sciences humaines paraissent assez problématiques du point de vue de la testabilité, que ce soit certaines théories sociologiques ou certaines parties de l'économie, et il ne faut pas utiliser le critère poppérien comme un couperet dogmatique. Popper a lui-même cru pouvoir soutenir que le darwinisme n'était pas testable (thèse à laquelle il renonça plus tard), mais qu'il était notre meilleur "programme métaphysique de recherches" en biologie. La psychanalyse fonctionne-t-elle comme un programme fécond, ou stagne-t-elle dans la répétition, le ressassement des textes du "Père", l'excès de confiance en soi et le refus de se confronter à d'autres approches ? Le débat devrait au moins être ouvert.

Popper n'a jamais pris connaissance des écrits de Jacques Lacan. On peut conjecturer qu'il y aurait vu une caricature de Freud, pour lequel il avait du respect, car il voyait en lui un esprit clair et scientifique, quoique trop "vérificationniste" et positiviste. Le jargon abscons, l'usage erratique de formules philosophiques ou pseudo mathématiques, les jeux de mots douteux ("imbévue" pour "Unbewusst" (mal prononcé) !), tout cela peut impressionner, mais cela n'aurait eu à ses yeux que fort peu de rapports avec la recherche patiente et passionnée de la vérité par l'ouverture de ses propositions à la discussion critique. A juste titre, il n'aurait pas pris ce discours grotesque au sérieux.

Par ailleurs, loin de vanter les vertus de la conscience transparente à elle-même et de nier la fécondité de l'hypothèse de l'existence de processus inconscients, et même s'il se refuse en revanche à hypostasier "l'Inconscient" comme une sorte de Grand Manitou tapi derrière chacun de nos lapsus "révélateurs" ou chacun de nos comportements, Popper soutient l'idée qu'il est indispensable que nombre de nos aptitudes consciemment apprises "par essais et erreurs" soient par la suite "incorporées" inconsciemment de telle manière que la conscience puisse "passer à autre chose", résoudre de nouveaux problèmes, ce qui est sa fonction. Il fait même l'hypothèse que certaines névroses pourraient être dues à une réaction "rationnelle" de l'enfant : "Je suis d'accord sur ce point avec les psychanalystes, lesquels affirment que les névrosés et d'autres malades interprètent le monde en accord avec une certaine structure (pattern) personnelle, laquelle peut remonter à l'enfance". Ce "complexe" s'impose de manière rigide et amène l'individu à interpréter tout ce qui lui arrive en ses termes : cette "résistance" à l'apprentissage critique pourrait elle-même être expliquée par une blessure ou un choc émotionnel, produisant à son tour un "besoin croissant d'assurance ou de certitude" (Conjectures et réfutations, ch. 1, VI). De ce fait, il serait superficiel aux yeux de Popper de voir dans la découverte freudienne celle de "l'irrationalité humaine". Au contraire, soutient-il, Freud explique l'adoption d'une névrose comme une réponse de l'enfant à une situation qu'il était incapable de maîtriser : cette réponse est "adaptée", en ce sens qu'elle paraissait à l'enfant la moins intolérable des solutions possibles à son drame.

Enfin, Popper suggère que la psychologie en général ne saurait être envisagée indépendamment d'une part de la perspective évolutionniste, et d'autre part de la sociologie : loin de penser, comme Freud, que la sociologie ne saurait être que de la "psychologie appliquée", il soutient en effet, contre le "psychologisme", que la psychologie est plutôt une partie des sciences sociales. en réalité, la critique poppérienne de la psychanalyse, pour sévère qu'elle soit du point de vue méthodologique, est plus nuancée quant à certains aspects de l'approche freudienne, qui n'est pas condamnée en bloc. Mais il est vrai que cette critique n'a pas été poussée par Popper dans le détail, à la différence du traitement qu'il réserva au marxisme. Bien entendu, si, comme Adolf Grünbaum, on refuse la méthodologie "anti-inductiviste" de Popper, il est possible de soutenir que la psychanalyse est à la fois testable et non confirmée. J'ajouterai simplement que la réfutabilité est une affaire de méthode : Popper a sans doute eu tort de dire parfois que les théories psychanalytiques étaient par définition non testables, mais il n'a peut-être pas eu tout à fait tort de nous mettre en garde contre tout jargon scientiste et "oraculaire" et contre toute stratégie immunisante, du type "Face, tu perds; Pile, je gagne". De fait, comme l'a fait remarquer Grünbaum dans son ouvrage (Fondements, p. 186), Freud était sans doute plus sensible à cet aspect des choses que ne le présente Popper, parfois de manière caricaturale, puisque dans un texte de 1937 ("Constructions dans l'analyse "), il cite lui-même cette plaisanterie comme provenant d'un "savant de mérite" ayant fait cette objection contre la psychanalyse, et tente d'y répondre en mettant en avant la nécessaire prudence de l'interprète. Mais ce "savant de mérite" n'aurait-il pas lu la Logique de la Découverte scientifique, parue à Vienne en 1934 ?

Alain Boyer
Professeur de Philosophie à l'Université de Paris IV



K. Popper : La Logique de la découverte scientifique, Payot, 1973.
K. Popper : Le Réalisme et la science, Hermann, 1990
K. Popper : Conjectures et Réfutations, Payot, 1985
K. Popper : La Quête inachevée (Autobiographie intellectuelle), Agora, 1989.
A. Grünbaum : Les Fondements de la psychanalyse, PUF, 1996
e. Gellner : La ruse de la déraison : le mouvement psychanalytique, PUF, 1990.
A. Boyer : Introduction à la lecture de Karl Popper, Pens, 1994.

Vérifiabilité, réfutabilité : Un énoncé ou une théorie sont empiriquement vérifiables stricto sensu s'ils sont déductibles d'une suite finie d'observations possibles, ou encore si toutes les autres théories concurrentes possibles sur le même sujet sont éliminables. Hume a montré que le premier cas n'était pas possible : une théorie universelle a un nombre infini de conséquences, on ne peut pas les vérifier toutes. Duhem a montré qu'il n'existait pas en physique d'équivalent de la démonstration par l'absurde : réfuter l'une des deux théories en concurrence ne prouve pas la vérité de l'autre, car elles ne sont pas contradictoires, seulement incompatibles. eriger le "principe de vérification" en critère de scienctificité et même de sens, comme le faisaient au début des années trente les néo-positivistes du "Cercle de Vienne" conduit à réputer "dénuées de sens empirique" toutes les "lois" de la science. en revanche, une théorie peut logiquement être réfutée par un contre-exemple (lequel n'est jamais facile à établir !), et Popper propose de ne considérer comme empirique qu'un énoncé qui est incompatible avec au moins un énoncé d'observation possible : "Il n'y a pas de machine à mouvement perpétuel" est ainsi non vérifiable, mais réfutable. et la science progresse en cherchant à mettre à l'épreuve de l'expérience des théories de plus en plus universelles et de plus en plus précises, et donc de plus en plus réfutables : un énoncé est d'autant plus informatif qu'il exclut plus d'états de choses possibles, ce que redira la théorie de l'information. Dans le cas des énoncés statistiques, il convient de se donner des règles conventionnelles, car un contre-exemple ne suffit évidemment pas à en réfuter une. Par ailleurs, si une théorie, malgré toutes nos tentatives les plus ingénieuses pour la mettre en défaut, résiste et même nous étonne en prédisant des effets surprenants, nous pouvons la considérer comme "corroborée", et même, suggère Popper, comme intuitivement "proche du vrai".

L'auto-confirmation : selon Popper, certains marxistes et certains psychanalystes ont la fâcheuse tendance à interpréter toute critique de leur théorie comme une preuve de sa vérité : si vous vous opposez à la thèse de l'inéluctabilité de la révolution prolétarienne, c'est que vous êtes "dans le camp de la bourgeoisie", ce qui montre bien que la théorie marxiste de la lutte des classes est valide, et qu'elle fait peur à ses adversaires. si vous doutez de la théorie du refoulement des désirs oedipiens, c'est parce que vous n'avez pas "résolu votre Oedipe", etc. Toute critique de la théorie la renforce en montrant qu'elle "dérange", et qu'elle "met le doigt où cela fait mal". Popper cite ses camarades marxistes (lorsqu'il croyait l'être lui-même, en 1919), affirmant que la presse bourgeoise contenait une foule de confirmations de la théorie de Marx, surtout dans ce qu'elle ne disait pas. Lorsque vous êtes sous l'emprise d'une telle "idéologie", le monde entier semble confirmer votre vision, même vos échecs. Popper compare cela à une conversion religieuse : il est bien connu que l'invisibilité du divin est une preuve de son existence. Plus trivialement, on peut rappeler l'un des procédés rhétoriques utilisés lors des procès de Moscou : l'accusé est coupable, car on n'a pas trouvé de preuves de sa culpabilité, c'est donc qu'il les a cachées. Irréfutable. Bélize, dans les Femmes savantes, argumente à peu près ainsi : si les hommes me regardent, c'est que je leur plais; s'ils détournent leur regard, c'est qu'ils ont peur d'être séduits. Les "stratégies immunisantes" peuvent aussi aider à vivre. Mais pas à progresser.

Inductivisme : alors que la déduction permet de développer les conséquences implicites d'un ensemble de prémisses, et ne saurait donc conduire à quelque chose qui n'était pas déjà contenu dans cet ensemble, l'induction consiste à généraliser à partir d'un certains nombre de cas particuliers pour obtenir une "loi" universelle : sa conclusion est donc plus "forte" que l'ensemble de ses prémisses. en toute rigueur, un tel raisonnement n'est pas valide, mais éminemment faillible. selon Popper, les inductivistes pensent que la science doit se méfier des hypothèses spéculatives, et se contenter d'extrapoler à partir d'observations neutres et répétées. Il s'agit là sans doute, comme l'a argumenté A. Grünbaum, d'une caricature de cette tradition, que l'on peut faire remonter à Aristote et à ... son adversaire Bacon, le fameux "héraut de la science empirique" du début du 17ème siècle. Les inductivistes sont plutôt "éliminativistes", en ce qu'ils cherchent à produire des hypothèses et à en éliminer le plus possible grâce à des "expériences cruciales". Mais Pierre Duhem (La Théorie Physique, 1906), avant Popper, avait montré que la prétendue "méthode inductive" de newton était un mythe, et qu'aucune expérience cruciale ne permet de vérifier une théorie ni d'éliminer à jamais une hypothèse appartenant au "système" que constitue toujours une théorie complexe. Il faut débattre, contester, polémiquer... Aucune "machine inductive" ne saurait selon Popper jamais remplacer l'audace imaginative des chercheurs ni leurs affrontements passionnés. La méthodologie "anti-inductiviste" de Popper n'est pas "déductiviste", elle met d'abord en avant les conjectures, tout en recommandant qu'on en tire des conséquences déductives confrontables avec l'expérience. C'est, si l'on peut dire, le gai savoir des essais et des erreurs.


Merci à M. Alain Boyer qui m'a gentiment autorisé à mettre en ligne ce texte, et merci à M. Dario Taraborelli sur le site duquel j'ai trouvé cette ressource.

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